Manifeste fondateur du collectif MANO

LE DEVOIR DE TOUT SOCIOLOGUE, ÉDUCATEUR, POLITIQUE ET, À PLUS FORTE RAISON, ICI, ARCHITECTE OU ARTISTE, EST DE QUESTIONNER SA RESPONSABILITÉ FACE AUX ÉVOLUTIONS QUI AGITENT LE MONDE. UNE DE NOS PRINCIPALES RESPONSABILITÉS CONSISTE À PRENDRE LA MESURE D’UNE RÉALITÉ RADICALEMENT COMPLEXIFIÉE, ACCÉLÉRÉE, DEPUIS LES FAMEUSES ANNÉES 70, FONDÉES SUR UN AVENIR RADIEUX, LE PROGRÈS EN TOUTE CHOSE.

La fameuse crise que vit l’espèce issue du Néolithique était inconcevable sérieusement avant 2008, juste bon pour les diseurs de mauvaise aventure, les Cassandres. Or, la réalité est bel et bien là : de quatre milliards d’habitants vers les années 50/60, nous sommes sept milliards d’hominiens serviteurs du fameux et inévitable marché mondialisé. Avec les dangers d’autodestruction que tout responsable honnête sait, certes, mais peut-être avec une chance encore mystérieuse de trouver une nouvelle issue. Michel Serre nous l’a superbement rappelé encore récemment dans son livre « petite poucette » : « Le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout réinventer : une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître… ».

Au XXIe siècle, la « révolution numérique » bouleverse la vie quotidienne, la recherche scientifique, architecturale et artistique, les relations sociales, l’intimité, la politique : tout. Sensibles à la crise sociale de nos sociétés, nous soutenons qu’il est possible et nécessaire de sortir l’individu de son isolement et de l’inscrire dans une perspective altruiste. Bernard Stiegler parle de la possibilité d’une « nouvelle révolution industrielle qui permettrait d’envisager de nouvelles formes de production très localisées et décentralisées, et revalorisant les savoir-faire après deux siècles de prolétarisation ». Notre époque voit l’arrivée d’un modèle de production collaboratif se développant aux côtés du modèle économique classique, et permettant une meilleure productivité, une meilleure éthique et un engagement solidaire. Nous allons aujourd’hui vers un changement inéluctable et radical de nos vies qu’il s’agit de savoir anticiper. Si des projets comme Wikipédia ou Linux – une encyclopédie libre et un système d’exploitation ouvert – arrivent aujourd’hui à concurrencer les majors institutionnels, quelles peuvent être les innovations sociales et spatiales à même de les accueillir ?

En France, c’est en 1968 que les beaux-arts décident de séparer l’architecture des autres pratiques artistiques. Les beaux-arts étaient au nombre de quatre : peinture, sculpture, gravure, avec l’architecture jusqu’à ce que le ministre de la culture André Malraux crée huit unités pédagogiques d’architecture distinctes, en réponse à la crise de l’académisme portée par les conflits politiques. Ce faisant, la politique brisait l’unité des disciplines des arts plastiques.

Était-ce un bien ou un mal ? L’interdépendance des intérêts, besoins, marchés, dangers sociétaux depuis les années 70 est telle que paradoxalement chaque corps professionnel s’est isolé progressivement des autres, et à l’intérieur de ces corps chacun s’est spécialisé.

Les nouveaux espaces de travail collaboratifs que l’on voit aujourd’hui fleurir un peu partout à Paris sont un bon exemple de tentative de décloisonnement des disciplines, par la mise en commun de l’espace, multipliant ainsi les opportunités d’échanges et de partage, premiers signe concret d’une nouvelle société du savoir. Sur le modèle des logiciels ouverts, cette nouvelle communauté peut permettre à un individu d’acquérir facilement des connaissances pour améliorer sa propre situation. Parce que de type d’enrichissement contributif est l’avenir de notre civilisation, intéressons-nous au moyen d’accéder à cette société partagée, apte à recevoir une dynamique sociale forte, et permettant aux individus de produire et de développer « en commun » des capacités et du savoir, de la nécessité et du sens. Dans un esprit de combat, radical et engagé, risquons-nous donc dans cette ambitieuse et salutaire aventure contemporaine.

Collectif.mano@gmail.com

Bagnolet, le 17 août 2015

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